par Sylvie Ferre
Procédons d’abord à un retour en arrière sur les quelques projets non évoqués précédemment. Samedi après –midi, l’amplification du son des micros tapés au sol par les assistants de Christof Migone redonnera vie au hall de l’Université de l’OCAD. Plus tard, dans la soirée, la performance du Birman, Nyan Lin Htet, sera d’une étonnante précision et d’une grande intensité. La force de son regard qui parcourt l’assistance alors qu’il coud un morceau de viande posé sur ses genoux sera fort prenante. Nous ne pouvions dégager notre attention de ce geste répétitif et symbolique. Le final pour le moins inattendu, le verra entamer une danse élégante «à la Tahitienne » devant la vidéo d’un groupe d’aveugles jouant et chantant « Happy New Year ».
Nous arrivons au dernier jour des performances. Il y a un peu de nostalgie dans l’air, comme toujours à chaque fin de festival.
Camille Turner va emmener le public à l’extérieur, demandant à chacun de garder le silence et de se mettre à l’écoute de soi, de son corps et des bruits extérieurs. Mais cette démarche ne fonctionnerait elle pas mieux dans la solitude plutôt qu’en groupe?
Nobuo Kubota va réaliser une improvisation magistrale accompagné par le musicien David Sait. Ce dernier joue d’un instrument japonais ancien, le Guzheng. L’originalité de ce duo ne saura faire oublier le talent des deux complices, ni le sérieux de leur travail. La rencontre est harmonieuse et dynamique. Certaines des improvisations de Nobuo Kubota seront très jazz, évoluant vers le blues. On le sent très à l’aise dans ce jeu à deux.
Marcio Carvalho est Portugais mais vit à Berlin. Durant toute son action, il va maintenir une tension qui va cependant laisser de belles ouvertures poétiques et imaginatives. Quatre parties dénommées A,B,C,D, vont nous entraîner dans une histoire complexe d’une fascinante et subtile précision. Voici livrés quelques-uns des éléments qui feront le succès de sa performance, justement par cette alternance des extrêmes, entre brutalité et sensibilité : la moitié de poire collée au mur qu’il va dessécher au sèche-cheveux alors que la photo polaroïd placée à côté va lentement laisser apparaître le fruit; les poussins descendant du plafond sur les restes du service à thé brisé en mille morceaux; la violence de sa danse sur une musique heavy métal, celle avec laquelle il se frappe le torse avec sa chemise mouillée, ou encore la couleur jaune laissée par sa chemise trempée dans un baquet d’eau. Marcio va finir son action en prenant au PolaroÏd certains des artistes présents. Photos qu’il va se scotcher sur le cœur, avant de refermer sa chemise trempée et de dire : « Nothing stay forever, every evidence did ».
La touche finale est donnée par le Polonais Waldemar Tatarczuk. Il contemple longuement sa photo posée au mur. Puis vient se placer devant et la déchire jusqu’à en faire des confettis. De sa main gauche, il sort une à une les photos des personnes qui ont bien voulu poser pour lui. Il les juxtapose, les tenant dans sa main droite. De sa main gauche, il pose un paquet de papier en vis-à-vis des portraits. Il est alors en appui sur ces deux piles de papier, en tension totale. Petit à petit, de sa main gauche, il va froisser avec ses doigts chaque page en totale tension. Nous verrons alors apparaître tout son curriculum vitae, depuis sa naissance. Cette action est très lente, les feuilles nombreuses, certaines sont sciemment blanches, un tas se forme au sol, l’artiste tremble. Ses doigts se crispent. Toute sa vie est résumée là. La sobriété de l’acte rajoute à sa densité. Les deux dernières pages nous laissent dans une perplexité extrême, car il annonce sa mort….en 2012.Le public réagit, puis il lâche la pile de droite et s’en va. Cette idée finale nous intrigue, si c’était son désir, c’est réussi. Il gardera soigneusement le secret de cette finalité, alors gageons qu’il s’agisse juste de la mort de cette performance.
C’est sur cette note particulière que prend fin le Festival 7a*11d. Tous les ingrédients étaient réunis pour offrir une exceptionnelle diversité des actions. De beaux moments ont émargés de ces rencontres, certains parfois forts. Les éminences grises sont restées au sommet, les artistes reconnus nous ont offerts des moments intenses. Avec plaisir, nous avons découverts de nouveaux performers venus parfois de très loin. L’internationalité d’un festival est son atout principal. Sans oublier la scène locale, dont le célèbre activiste Istvan Kantor a animé un débat. De lui, on aurait certes aimé voir plus.
De plus jeunes performeurs ont aussi été invités. De mémoire, Maria Hupfield du Canada a marqué son territoire avec délicatesse en nous renvoyant par des gestes simples à nos propres souvenirs. L’Anglais Paul Hurley a livré un rituel ironique scandé du bruit de ses hauts talons, Agnès Yit de Singapour hypnotisera Randy Gledhill avec son cerceau lumineux, et la Canadienne Irène Loughlin finira sa pénible et difficile action, enterrée sous des bouteilles de bières. A eux tous, ils représenteront la nouvelle génération active d’artistes émergents.
En bref, cette édition du Festival 7a*11d est une réussite tant artistique qu’au niveau de la participation du public et nous avons pu découvrir une équipe compétente, une qualité de l’accueil somptueuse, conviviale et chaleureuse.
Un grand merci à tous!
Sylvie Ferré