Enfin une époustoufflante performance

par Sylvie Ferre

Jeff Huckleberry, Attempt at not being a walking fucking joke  PHOTO Henry Chan
Jeff Huckleberry, Attempt at not being a walking fucking joke 7a*11d 2012 PHOTO Henry Chan

Ce qui ne veut pas dire que les autres performances étaient dénuées d’intérêt, mais celle de l’Américain Jeff  Huckleberry a concentré tout ce que nous sommes avides de trouver dans une action. Il a réuni avec brio tous les éléments qui donnent sens à un acte original, intelligent, limpide, en construisant une trame précise, avec un sens pointu de l’auto-dérision et de l’humour,  et cela tout en défiant ses propres possibilités corporelles. Qui eût cru que ce grand gaillard discret et tranquille, puisse prendre une telle assurance, faire preuve d’un tel charisme lors de son incroyable et saisissante performance? Sans cesse à la recherche de la faille qui va créér la tension, il mettra son corps au défi, le poussant dans ses ultimes limites, tout en ayant soin d’impliquer le public non seulement comme témoin, mais en tant que participant de son oeuvre. Nous devenons les complices de son action.

Jeff Huckleberry connaît de toute évidence l’histoire de la performance. Il enseigne à Boston, USA. Son corps est celui d un sportif de haut niveau, on sent l’endurance acquise par des efforts prolongées et intenses. Du vélo, il a fait sa profession, réparant et préparant aussi les bicyclettes des autres compétiteurs.

En quelques mots, il nous explique notre participation avec les ballons qu’il nous donne à gonfler, tout en préparant une mixture avec divers matériaux de peinture, par quelques brèves phrases lachées sporadiquement, il se moque de lui, de la situation, ce qu’il aura soin de faire tout au long de son action. Il se dévêt pour endosser une tenue de peintre déjà toute barbouillée. Il nous donne le choix, entre deux possibilités, le thermos rempli d’eau chaude et le café l’emportent. Il se verse l’eau sur la tête, on espère qu’elle n’est pas brûlante, mais après tout c’est son choix et le nôtre aussi…puis verse le café par dessus. Hormi l’odeur du café, sa tête est celle d’un mineur de fond. Il va peindre d’épaisses et longues lattes de bois avec les mélanges preparés dans les baquets et les entasser. Nu, il se couche sur le tas et l’enlaçant, il roule avec de chaque côté, soulevant avec peine cette masse lourde. Ce faisant, les baquets alentour valdinguent de tous côtés, le liquide se répand, le public se pousse. Puis, accroupi il essaye de soulever ce tas, le pose difficilement sur ses épaules, les planches glissent, tombent, il les rattrape. Nous sommes épuisés pour lui. Il leur remet un coup de peinture au vaporisateur. Finalement, après tous ces efforts, debout, il tentera à maintes reprises de soulever l’ensemble, nous demandant de lâcher nos ballons gonflés lorsque nous estimons que c’est assez. La tension monte, il reprend son souffle, essaye, recommence, et finalement la masse se lève, dans un ultime effort, il la porte à bout de bras au-dessus de sa tête, nous lâchons vite nos ballons, mais il restera de longues secondes ainsi, en équilibre instable, avant de tout relâcher dans une explosion d’applaudissement.

Dans la même soirée, et un tout autre registre, dans une salle à part, la Polonaise qui vit en Allemagne, Patrycja German, est assise, deux chaises vides à côté d’elle. Sur un mur est inscrite l’explication de sa performance, une petite fiole est posée tout près. L’on comprend que sa robe est enduite de phéromones sexuelles attractives qui peuvent interférer sur l’humeur et le comportement des spectateurs. Deux scribes sont installés de chaque côté de la pièce et notent en détail tout ce qu’il se passe. Allez, essayons! Je choisis un moment tranquille, pendant l’une des performances, je m’asseois à côté d’elle. Nous échangeons un sourire. Elle ne répond pas à mes brèves questions. En fermant les yeux, je me sens envahie de bien-être, une vraie détente. Je n’ai plus envie de bouger, je suis si bien. Le temps passe, c’est un moment de bonheur, un état de méditation, je pourrais m’assoupir, je me sens dans un cocon quasi matriciel. Waouh! Je décide alors de m’arracher de cette expérience fort intérêssante, et je repars un peu stone….Elle restera ainsi tout au long de la soirée, expérimentant, elle aussi, le retour de son insolite performance.

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